ÉROSION ET SÉDIMENTATION

ÉROSION ET SÉDIMENTATION
ÉROSION ET SÉDIMENTATION

L’histoire des continents résulte d’une évolution où interfèrent des forces internes nées de déséquilibres crustaux et des forces externes qui détruisent les constructions orogéniques édifiées par les premières. Tous les reliefs ne sont que des états transitoires de cette évolution. Actuellement, le globe constitue un système clos, pour l’essentiel, et la conservation de la matière implique que la destruction des continents par l’érosion soit compensée par une sédimentation corrélative.

En fait, l’existence de ce couple érosion-sédimentation a été mise en évidence depuis fort longtemps. L’idée de cette relation se trouve déjà clairement exprimée, pour la première fois, semble-t-il, dès la fin du XVIIIe siècle dans les travaux du géologue écossais James Hutton. Au tout début du siècle suivant, John Playfair, explicitant et diffusant la pensée huttonienne, la reprend dans le cadre de son «cycle géologique» et de sa conception de l’histoire terrestre fondée sur une succession de «mondes». Selon le géographe Henri Baulig, l’idée même d’un rajeunissement périodique de la Terre apparaît dès l’Antiquité. Mais elle reste le fruit d’une pure réflexion, alors que le système huttonien représente l’interprétation d’un grand nombre d’observations contrôlables.

1. Phases de l’érosion et sédimentation

La destruction par divers agents des portions de la croûte terrestre exposées à leur action fournit des matériaux meubles. Après modifications et transport, ils s’accumulent et constituent les dépôts sédimentaires.

En français, le terme d’érosion groupe l’ensemble des processus qui conduisent à une usure de la surface terrestre et au façonnement des formes de relief sous l’action des agents météoriques (météorisation) et de transport (morphogenèse). En revanche, les auteurs de langue anglaise séparent la désagrégation et l’altération des roches en place (weathering ) de l’élimination des produits résultants par les agents vecteurs (erosion ).

Météorisation des roches mères

La météorisation des roches représente la première phase de l’érosion, où l’eau joue un rôle essentiel. Elle met en œuvre des processus de natures différentes, mécaniques (fragmentation, désagrégation), chimiques (altération) et biochimiques (pédogenèse). Dans le cas des roches compactes, leur intervention est un préalable indispensable à celle des agents de transport, qui ne peuvent exercer leur activité qu’aux dépens des produits de leur ameublissement.

Les continents ont une surface voisine de 149 millions de kilomètres carrés, dont 75 p. 100 environ sont occupés par des roches sédimentaires, bien que celles-ci ne représentent qu’à peu près 5 p. 100 du volume de la croûte terrestre. Le tableau 1 fournit la répartition des divers types de roches et de minéraux à l’affleurement.

Les roches nues, inaltérées, n’affleurent que dans des régions où les possibilités d’évacuation par les agents de transport dépassent la quantité de matériel fournie par la seule météorisation. De tels affleurements sont confinés aux étages élevés des chaînes de montagnes et à certaines parties des domaines aride et semi-aride, ainsi qu’à certaines marges littorales. Dans ce cas, et en dehors des possibilités d’altération, c’est la cohésion des roches qui intervient: seuls les sables ou les cendres peuvent être directement mobilisés. La fragmentation des roches cohérentes demande l’intervention de processus physiques où l’eau joue toujours un rôle prédominant: cryoclastie, thermoclastie, alternances sécheresse-humidité. Intervient alors aussi la conformation même des reliefs, l’accroissement des pentes facilitant le jeu de la gravité, qui utilise les discontinuités internes (failles, diaclases) des massifs rocheux.

Dans tous les autres domaines, l’ablation s’attaque au résultat de l’altération et de la pédogenèse des roches en place. Les modalités en sont très complexes, car on y retrouve les interférences constantes entre les caractéristiques propres du matériel et les modes d’action des divers agents. C’est ainsi que des roches de composition voisine peuvent réagir très différemment. La texture et la granulométrie commandent, par exemple, la pénétration de l’eau, et le même matériel volcanique est beaucoup plus rapidement altéré sous forme de cendres que sous forme de lave consolidée. La division naturelle des cendres permet d’ailleurs l’action immédiate des facteurs de transport mécanique. Deux granites de même composition globale peuvent se comporter de façons très diverses: la répartition des éléments noirs (micas, amphiboles), la texture règlent l’altération. Un léger métamorphisme de type alpin suffit à «immuniser» les plagioclases.

L’altération est une somme de réactions qui tendent à une plus grande stabilité du binôme eau-produits d’altération. Les eaux météoriques, peu chargées en ions, ont tendance à dissoudre les minéraux. En se chargeant de matières dissoutes, elles deviennent moins agressives et l’altération diminue. Il s’établit ainsi des chaînes dont les instabilités se compensent plus ou moins, et où le pH et le potentiel d’oxydoréduction jouent un grand rôle. Aux processus de dégradation succèdent des synthèses de minéraux plus stables, mais l’évolution est lente car les températures sont faibles. Des séquences minérales nouvelles soulignent ces transformations et leur agencement spatial, vertical et horizontal témoigne de la plus ou moins grande vigueur de l’altération. L’influence de la matière organique mérite d’être signalée: elle permet une meilleure rétention des eaux et donne des éléments actifs (acides humiques, etc.). Mais si la quantité de débris organiques fournie par la couverture végétale augmente avec la chaleur et l’humidité, sa conservation dans les sols diminue exponentiellement quand la température s’accroît.

L’ablation du matériel issu de l’altération est très sensible à la nature de celui-ci: l’évacuation rapide des solutions sera fonction de l’importance de la percolation; la fragmentation facilitera le transport mécanique. Un granite qui libère peu de matières dissoutes peut donner une quantité considérable d’arènes; une roche basique fournit beaucoup de matières dissoutes mais son altération conduit souvent à la genèse de carapaces qui bloquent les possibilités de l’érosion mécanique. On rencontre d’autres types de carapaces (croûtes calcaires ou gypseuses) dans les domaines aride et semi-aride: elles signalent la réalisation d’équilibres nombreux qui freinent l’ablation des versants.

Cette rapide analyse des modalités de la météorisation des roches mères suffit à montrer que les sédiments ne seront bien souvent que de pâles reflets des roches dont ils dérivent. La part d’héritage est souvent bien faible, comparée à l’apport de la genèse de minéraux nouveaux et aux perturbations introduites par le facteur biologique.

Transport

Le transport des produits de l’altération et des particules des roches meubles aboutit au façonnement des formes de relief. La gravité est l’agent fondamental, universel, qui attire vers les points bas tout élément transportable. Généralement, d’autre agents l’assistent, l’eau étant le principal d’entre eux.

Les éléments détritiques et les solutions issus de la destruction des roches mères subissent des modifications au cours de leur transport vers les aires de sédimentation. Ces modifications dépendent de la nature et de la taille des éléments transportés, de l’agent vecteur et de la durée du transport. Toutes aboutissent à une adaptation plus ou moins poussée à la dynamique respective des processus en cause. Cette adaptation s’exprime à l’échelle de chaque élément comme à celle de leur masse.

À l’échelle de l’élément, elle consiste en un façonnement qui réduit au minimum la résistance au déplacement. Par fragmentation, frottements, dissolution, il atteint un certain «émoussé»: les actions mécaniques sont plus aisées quand la granulosité est plus grossière, mais la dissolution est favorisée par une diminution de taille. Une action de triage se développe simultanément au sein de la masse. Elle est mécanique et chimique. Les fragments les moins durs et les plus solubles disparaissent les premiers; les éléments insolubles les plus fins sont préservés; les débris clastiques peuvent être classés par densités ou par tailles en fonction des modalités du déplacement: suspension, saltation ou roulage. Dans l’ensemble, tout en s’amenuisant, les sédiments détritiques grossiers s’appauvrissent en éléments tendres, altérables ou solubles. C’est la raison de la dominance du quartz dans les sables. Ce triage peut se poursuivre dans les bassins d’accumulation sous l’action des courants et en fonction de la topographie des fonds. De cette manière, les aires de sédimentation piègent un matériel diversement façonné et classé.

L’action des divers agents de transport est plus ou moins efficace. Le vent ne peut prendre en charge que des éléments de petite taille (inférieure à 2 mm), mais il opère un triage très poussé parmi les éléments puisqu’il les prélève par vannage et qu’il ne les façonne que lentement. Un glacier, en revanche, peut transporter les éléments de taille quelconque que l’érosion mécanique des versants lui fournit. Il ne les modifie guère: les moraines restent des amas non classés et non structurés d’éléments anguleux seulement marqués par des stries. Les écoulements pérennes, fleuves et rivières, émoussent et calibrent leurs alluvions plus efficacement que les crues spasmodiques des milieux semi-arides caractérisés par des transports en vrac. Ces eaux courantes, en tout état de cause, sont le seul agent général constamment actif qui permette le transit rapide des éléments nés de l’érosion des versants.

Toutes les actions dues au transport sont d’autant plus intenses que la distance entre les bassins d’alimentation et de sédimentation est plus grande. C’est ainsi que la pauvreté en éléments altérables d’un sédiment détritique est un indice de distance à la source d’alimentation, comme d’ailleurs le classement des sédiments déposés. Mais, pour chaque processus de transport, il existe une distance limite à partir de laquelle se réalise un équilibre entre ses caractéristiques et celles du matériel transporté. Les particularités de la sédimentation dépendent alors des rapports qui s’établissent entre le processus et le matériel mobilisé. Dans une mesure variable, les roches sédimentaires révèlent les modalités du transport de leurs constituants. À condition de savoir éliminer certains remaniements exceptionnels, les caractères de la sédimentation sont donc de bons guides dans les reconstitutions paléogéographiques et paléoclimatiques.

Dépôt

Les roches sédimentaires reflètent aussi les conditions du dépôt. Ces rapports se manifestent avec évidence dans le cas des roches détritiques de faciès continental. Ils concernent à la fois le calibre de leurs éléments constitutifs et leur disposition.

La granulométrie de ces roches exprime ainsi les conditions dynamiques offertes par le processus de transport au moment du dépôt. Elle résulte, en fait, d’un triage mécanique du matériel véhiculé en fonction de la variation de capacité et de compétence de l’amont vers l’aval. De cette façon se réalise une distribution horizontale des éléments sédimentés suivant les zones définies par un spectre granulométrique décroissant. Dans le cas de dépôts fluviatiles, on observe ainsi le passage progressif de formations grossières de piémont aux accumulations fines de limons et d’argiles d’aval. Mais cette répartition apparaît plus ou moins rigoureuse selon les modalités de l’écoulement concerné. Celle qui est liée à des écoulements pérennes, du type fleuves ou rivières, est beaucoup plus régulière que celle qui est due à une mise en place discontinue par des écoulements spasmodiques, crues d’oueds ou de ruissellements diffus des régions arides. À la limite, l’écoulement glaciaire ne réalise aucun triage des moraines. Le vent, agent de transport très sélectif, engendre au contraire des accumulations bien classées.

Les sédimentations lacustre et, surtout, marine échappent pour l’essentiel à cette intervention décisive du processus de transport; la sédimentation marine ne se manifeste guère que sur la plate-forme continentale, où domine une accumulation détritique engendrée par des apports des continents et, accessoirement, par l’action de l’érosion littorale. Aussi la distribution du matériel y apparaît-elle plus complexe en raison des interférences de milieux à dynamiques différentes. Elle y prend l’aspect d’une mosaïque caractérisée par une alternance de formations grossières de deltas avec des vases d’estuaires et des dépôts d’origine chimique ou organique.

La disposition des éléments réalisée lors du dépôt se manifeste aussi dans les caractéristiques des roches détritiques. À l’échelle de chacun d’eux, seuls les plus grossiers sont capables de trouver des positions d’équilibre déterminées par la dynamique du processus de transport. Les galets des fleuves et des rivières présentent ainsi leurs grands axes perpendiculairement à la direction du courant, et leurs plans principaux relevés vers l’aval. La structure de la masse déposée n’est pas moins significative. Des alluvions des écoulements pérennes offrent une stratification lenticulaire classique. Ce dispositif s’oblitère dans le cas des ruissellements spasmodiques des déserts jusqu’à disparaître quand le transport s’effectue en vrac. On sait aussi que le vent réalise des accumulations sableuses à stratification croisée, qui sépare nettement les grès dunaires des grès marins.

Mais les liens entre la sédimentation et les éléments transportés en solution, générateurs des évaporites, ne sont pas aussi étroits. La sédimentation purement chimique n’est le fait que d’un héritage lointain et partiel de l’érosion des roches mères. Elle se fait dans des bassins où la saturation est atteinte pour un couple anion-cation. La solubilité variable des nombreux sels virtuellement contenus dans une solution ionique implique un ordre strict des dépôts qui conduit aux séquences salines. Celles-ci sont fonction de la composition initiale de la solution ainsi que des apports postérieurs. En général, la saturation est atteinte du fait d’une prédominance de l’évaporation sur les apports d’eau douce. Dans le cas de l’eau de mer, la séquence théorique débute par les carbonates et se poursuit par le gypse, le sel gemme puis, exceptionnellement, des sels potasso-magnésiens. Les conditions optimales demandent un climat chaud et la présence de lagunes ou de mers épicontinentales peu profondes. Ces dépôts, lorsqu’ils sont marins, marquent soit la fin d’une transgression ou le début d’une régression sur une plate-forme continentale, soit la rétention temporaire d’une masse d’eau dans un fossé subsident.

2. Conditions de l’érosion et sédimentation

Envisagé d’un point de vue dynamique, le couple érosion-sédimentation dépend fondamentalement des conditions qui sont réalisées par les mouvements orogéniques et le milieu bioclimatique.

Orogenèse

La formation des chaînes de montagnes induit des types de sédimentation diversifiés par les caractères de l’orogène considéré.

Toutes les parties de la croûte terrestre ont un comportement mécanique équivalent dans des conditions identiques de température et de pression, mais seules les zones de bordures permettent l’établissement de déséquilibres puissants. Ainsi les zones instables se réduisent aux marges continentales. Les cratons ne sont pas beaucoup plus «rigides»; ils sont tectoniquement plus stables et sujets soit à des voussures qui peuvent amener des distensions génératrices de fossés effondrés, soit à de vastes affaissements générateurs de bassins sédimentaires intracontinentaux (fig. 1). Les sédiments y enregistrent souvent la trace d’une instabilité géographique traduisant la sensibilité particulière de bassins peu profonds à des variations minimes du niveau de la mer ou du climat. Les dépôts y oscillent fréquemment entre des faciès néritiques et des faciès deltaïques, ou même franchement continentaux. Ces derniers sont la règle dans le cas de bassins intramontagneux. Les brèches annoncent le voisinage de reliefs en évolution. Elles passent souvent vite à des grès ou même à des calcaires lacustres. C’est le cas du versant sud de la montagne Sainte-Victoire dans le bassin continental d’Aix-en-Provence. Le voisinage immédiat de la zone d’alimentation y permet ainsi une sédimentation contrastée, où se lit l’histoire des plissements finicrétacés, puis de l’érosion éocène, dont les déchirures seront mises à profit par la phase tectonique chevauchante de l’Éocène supérieur.

Dans ce type de bassins, les sédiments atteignent rarement une puissance comparable à celles des séries orogéniques marines.

Les orogènes marins sont de deux types selon qu’ils naissent à la limite d’un continent sialique et de fonds simiques (chaînes liminaires) ou entre deux masses continentales (chaînes géosynclinales). Dans les deux cas se forment des fosses marines par appel vers le bas au niveau du manteau. La naissance de ces fosses est un phénomène géophysique indépendant des facteurs externes, donc de la sédimentation, mais ces sillons créent des conditions adéquates au dépôt de séries sédimentaires épaisses. Une fosse océanique est donc un bassin virtuel qui peut évoluer en bassin sédimentaire dans la mesure où l’alimentation en matériaux détritiques est possible et abondante, ce qui demande des émersions importantes dans des zones proches de la fosse.

L’accumulation des sédiments entretient la subsidence, et la constance du faciès néritique terrigène est un caractère dominant de ces séries détritiques marines. En revanche, cette sédimentation rompt l’équilibre dynamique local et engendre des perturbations échelonnées d’autres équilibres, d’où une évolution polarisée avec des zones soulevées (rides) et des affaissements (sillons), dont la sédimentation enregistre l’histoire.

Les chaînes géosynclinales fournissent un exemple classique. À côté de brèches intraformationnelles, qui témoignent de l’instabilité des zones voisines, elles sont riches en sédiments terrigènes qui se répartissent en deux faciès dominants: le flysch et la molasse.

Le flysch est un faciès de comblement, concordant sur les terrains sous-jacents. Il est alimenté par une cordillère émergée et son âge est de plus en plus récent quand on s’éloigne de cette zone d’alimentation. Il est antérieur à l’orogenèse.

La sédimentation du flysch correspond à des alternances binaires de grès et de pélites. Certains auteurs ont vu dans ces séquences simples la preuve d’une rythmicité du fait tectonique. On attribue plus volontiers ces séquences à un granoclassement vertical de coulées sous-marines (courants de turbidité), déclenché sur des talus instables par les séismes. C’est un type de sédimentation rapide: plusieurs centaines de mètres pour l’équivalent d’un étage stratigraphique. Le flysch occupe plutôt les sillons, mais il peut déborder sur les rides en conservant une grande épaisseur. Le classement centrifuge d’éléments de plus en plus fins établit un gradient horizontal qui permet de définir des types de granulométrie en fonction de la distance à la cordillère d’alimentation (fig. 2).

Sa structure rubanée et sa nature détritique peu consolidée permettent au flysch de migrer sur des pentes faibles et de se replier facilement: il constitue l’essentiel des nappes de charriage les plus mobiles. C’est le cas, par exemple, du flysch crétacé supérieur (à helminthoïdes) du sillon interne des Alpes (zone piémontaise), flysch qui s’est décollé des schistes lustrés jurassiques pour s’avancer jusqu’en zone dauphinoise au niveau des massifs cristallins externes dont la montée est postérieure au charriage.

Les molasses sont des dépôts marins ou continentaux riches en conglomérats, en général moins bien rythmés que les flyschs. Elles sont toujours moins évoluées: des feldspaths abondants ou des galets calcaires prouvent le voisinage immédiat de la zone d’alimentation et la vitesse du dépôt. Dans une même chaîne, leurs épaisseurs sont plus grandes que celles des flyschs pour un laps de temps plus court.

Certaines sont des faciès orogéniques tardigéosynclinaux: elles sont plus jeunes vers l’extérieur de la chaîne, mais toujours discordantes sur les séries antérieures (dans les Alpes occidentales, les molasses internes piémontaises sont oligocènes, celles de la fosse périalpine occidentale sont miocènes). D’autres sont postérieures à l’évolution géosynclinale et s’accumulent dans des bassins d’effondrement, comme les molasses plioquaternaires du bassin méditerranéen.

Il est facile de concevoir que l’étude des flyschs et des molasses soit nécessaire à la reconstitution de l’évolution d’une chaîne et qu’elle doive précéder ou accompagner toute étude tectonique régionale.

Dans le cas des chaînes liminaires, les faciès orogéniques détritiques sont le plus souvent continentaux, dès l’origine de la chaîne. Les faciès flysch n’y sont pas représentés, mais le volcanisme peut fournir des apports considérables qui s’intercalent dans ces séries: c’est le cas des dépôts volcano-sédimentaires des formations andésitiques de la cordillère chilienne.

Milieu bioclimatique

Les liens entre l’érosion et la sédimentation se manifestent aussi dans une perspective bioclimatique, car les systèmes morphogéniques dépendent étroitement des climats et des couvertures végétales correspondantes, tant au point de vue de leur agressivité qu’à celui de leurs caractéristiques.

Cette dépendance s’exprime d’abord au niveau des processus d’attaque des roches mères. Sur un versant à végétation appauvrie par la sécheresse ou par le froid, la météorisation s’exerce à peu près directement par fragmentation liée à des chocs thermiques, cryoclastie ou thermoclastie selon les cas; en revanche, c’est une altération biochimique dans les milieux plus ou moins humides et chauds à végétation dense; on sait sa puissance sous la grande forêt pluviale où les altérations atteignent jusqu’à plusieurs dizaines de mètres d’épaisseur. Les conditions bioclimatiques définissent ainsi la masse du matériau livré à la sédimentation comme ses caractéristiques originelles, qu’il s’agisse des éléments grossiers et peu transformés issus des désagrégations mécaniques prépondérantes des roches mères, ou des produits fins ou solutions libérés par l’intense altération chimique des premiers.

Mais le milieu bioclimatique intervient aussi dans la sédimentation en ce qui concerne les modes d’ablation et de transport de ce matériau comme des éléments des roches meubles. Les caractères du climat définissent en effet leur nature et leur place dans le complexe dynamique régional qu’ils réalisent. C’est l’efficacité de ces combinaisons qui détermine, en définitive, le rythme de la sédimentation et ses modalités. On sait aussi qu’elles fournissent au dépôt un matériau plus ou moins transformé, tant en ce qui concerne chacun de ses éléments que l’ensemble, selon l’efficacité des divers phénomènes de triage. Au cours de cette phase, le rôle de la végétation apparaît décisif. Selon sa densité, elle contrecarre, avec plus ou moins de succès, les actions d’ablation et de transport, à la fois par l’écran qu’elle interpose entre l’atmosphère et le sol et par le rôle stabilisateur des systèmes radiculaires. Dès la fin du XIXe siècle, des géographes, tel Siegfried Passarge travaillant en Afrique tropicale, ont relié les périodes d’intense érosion avec sédimentation corrélative aux dégradations de la couverture végétale provoquées par des changements climatiques. Cette idée s’est révélée féconde. De nombreux travaux effectués depuis la Seconde Guerre mondiale ont dénombré les crises érosives causées par la grande instabilité du climat qui caractérise la quasi-totalité du globe au Quaternaire. Ces résultats ont été synthétisés dans les années cinquante par Henri Erhart dans le cadre de sa théorie de la bio-rhexistasie . Elle distingue des périodes de biostasie caractérisées par une active pédogenèse mais peu d’ablation ; seuls les produits solubles sont évacués et provoquent une sédimentation à dominance chimique. Les crises morphogéniques correspondent aux périodes de rhexistasie. Elles donnent la prépondérance à l’ablation et au transport, qui s’exercent aux dépens du capital de matériel accumulé précédemment, comme à ceux des roches meubles exposées à leurs attaques par suite de l’amoindrissement de la végétation. Aussi déclenchent-elles une abondante sédimentation détritique. On parvient ainsi à des dépôts rythmiques qui enregistrent ces alternances climatiques; mais d’autres phénomènes, par exemple les courants de turbidité, peuvent fournir des séquences rythmées de type très semblable, qu’une étude sédimentologique fine permettra pourtant de distinguer.

Transportées dans le passé, de telles constatations aident à l’explication des caractéristiques de bien des séries sédimentaires. Ainsi, les puissantes sédimentations de grès rouges du Permo-Trias ne se comprennent qu’en fonction d’une érosion très agressive sous des climats chauds, semi-arides, mais intensifiée par la pauvreté de la biosphère.

L’intervention de l’homme dans la sédimentation s’insère dans ces constatations. Dans certaines circonstances, ses activités peuvent en effet perturber gravement les équilibres naturels et déclencher d’actives vagues d’érosion. À partir du Néolithique, celles-ci se manifestent à différentes reprises en fonction du développement de l’agriculture. À toutes les époques, des défrichements inconsidérés, dus aux mises en culture et au surpâturage, livrent les sols et les roches meubles aux attaques des agents mécaniques de l’érosion, par la destruction ou l’amoindrissement de la protection qu’assure la végétation naturelle. Des pratiques culturales comme celle de la jachère ou du dry-farming contribuent encore à augmenter leurs morsures. On identifie partout des basses terrasses ou des plaines d’accumulation engendrées à l’époque historique par cette érosion anthropique. Elles sont particulièrement évidentes dans les milieux où les équilibres naturels sont précaires, telles les régions méditerranéennes ou les marges des déserts. De même, la multiplication des ouvrages d’art, liée à l’épanouissement des civilisations industrielles, peut encore provoquer des érosions locales accélérées et modifier les conditions de l’accumulation. À l’inverse, certains travaux permettent de défendre ou de restaurer les sols: des fossés, des murettes, des barrages, accompagnés de plantations, inhibent l’érosion des versants. Des zones d’épandage, judicieusement alimentées par des déversements de crues, gagnent à l’agriculture ou à l’urbanisme de vastes étendues marécageuses ou lagunaires.

3. Bilans érosion-sédimentation

L’ablation consécutive aux phénomènes d’érosion n’est pas, en général, directement perceptible, même par des observations portant sur des périodes d’une dizaine d’années. Mais différentes méthodes permettent de la mesurer.

Ces dernières décennies, l’érosion accélérée que connaissent les terres de culture dans de nombreuses régions du globe a multiplié les essais dans ce domaine. À l’échelle du versant, pédologues et agronomes tentent d’établir des bilans d’eau et de matière, à l’aide de cases lysimétriques ou de parcelles témoins aménagées. Des équipements spécifiques fournissent les données climatiques au niveau du sol, nécessaires à l’établissement de corrélations valables entre les caractéristiques des agents atmosphériques et l’érosion. À partir des données fournies par des parcelles expérimentales, certains ont tenté de parvenir à une formulation de l’érosion. La formule la plus utilisée est la universal soil loss equation (U.S.L.E.), dite équation de Wischmeier , destinée à prévoir la perte en terre par érosion hydrique. Cette équation, de la forme:

évalue l’érosion A en kilogrammes ou en tonnes par hectare et par an. Elle associe les indices calculés d’érosivité des pluies (R ) et de résistance du sol (K ), la longueur (L ) et la valeur de la pente exprimée en degrés (S ), les modalités d’utilisation du sol (C ) et les pratiques conservatrices et antiérosives (P ).

La quantification de l’érosion peut aussi s’effectuer au laboratoire. La méthode des modèles réduits est d’utilisation courante chez les ingénieurs hydrauliciens, en vue d’apprécier les perturbations apportées à l’activité des fleuves, des houles ou des courants de marée par l’aménagement des lits fluviaux ou des littoraux.

Dans tous les cas, les valeurs obtenues doivent être utilisées avec beaucoup de prudence. Leur extrapolation à l’échelle des vastes régions et des durées géologiques, en particulier, ne sont pas valables, étant donné le caractère fondamentalement discontinu, dans l’espace et dans le temps, de l’activité érosive. Par ailleurs, la modélisation représente toujours une simplification du réel, dont il convient de tenir compte. D’une façon plus générale, elle ne respecte pas la règle de similitude, selon laquelle les variables du phénomène étudié doivent subir une réduction d’échelle identique. Enfin, les simulations correspondent à l’étude de l’érosion en état de crise.

D’autres méthodes, plus proches du réel, visent à quantifier l’érosion à l’échelle du bassin-versant. L’intérêt économique des fleuves et rivières (alimentation en eau, industrie, navigation, irrigation) a activé les recherches dans ce domaine. Les résultats peuvent être exploités utilement pour tenter une estimation globale de l’érosion moyenne sur la surface d’un bassin. C’est ainsi que le remplissage des barrages ou le comblement progressif d’un lac donnent des mesures directes de l’ablation des versants situés en amont. En l’absence de ces bassins, la méthode est plus ardue et moins précise, mais la connaissance du débit, à travers une section transverse, de la salinité de l’eau, de la charge en suspension, du charriage sur le fond permet d’apprécier la masse des sédiments enlevés dans la portion du bassin située en amont de la section considérée. Le volume érodé s’obtient en divisant cette masse par la densité moyenne des roches cohérentes présentes dans le bassin: on l’exprime en mètres cubes par kilomètre carré et par an, ce qui équivaut à une ablation d’autant de millimètres en mille ans.

Tous les facteurs signalés précédemment interviennent dans les valeurs obtenues (tabl. 2). Les plus fortes sont atteintes dans les bassins torrentiels de haute montagne où le froid, le relief, l’importance des précipitations, l’absence de végétation impliquent la dominance des processus de fragmentation et de transport mécaniques: l’ablation y dépasse parfois 1 mètre en mille ans.

La figure 3, établie à partir de documents répartis sur l’ensemble des États-Unis, donne un exemple des relations entre les précipitations et l’ablation: elle souligne l’influence de la végétation, facteur inhibiteur de l’accroissement des précipitations. Les zones steppiques apparaissent ainsi comme les plus propices à l’érosion dans les pays d’altitudes faibles ou moyennes.

Les fleuves de plaine, en pays tempérés et en l’absence de cultures intensives, fournissent les valeurs les plus basses de l’ablation (de 1 à 4 cm en 1 000 ans), et le transport en solution domine: c’est ainsi que, en excluant les apports industriels, la Seine transporte de 60 à 70 p. 100 de sa charge sous forme dissoute, pour une ablation de l’ordre de 3 centimètres en mille ans.

Les perturbations introduites par l’homme sont considérables et les régions agricoles se comportent comme des enclaves plus arides. Elles fournissent des apports de 5 à 10 fois plus élevés en moyenne que ceux des bassins incultes voisins et jusqu’à 80 fois plus grands dans les parcelles nues en cours de traitement agraire.

En intégrant les données fournies par les principales régions du globe, il est possible de proposer un bilan mondial de l’érosion: de 2 à 3,5 centimètres en mille ans, selon les auteurs. Cela paraît bien peu mais correspondrait pourtant, en l’absence d’orogenèse, et malgré les rajustements isostatiques, à la disparition totale des continents en moins de 50 millions d’années. Il est nécessaire de tenir compte de telles estimations pour toute tentative d’explication géodynamique du globe.

La relation qu’impose la notion de couple érosion-sédimentation n’est concevable que globalement. Il n’y a de rapports immédiats entre les dépôts et les produits issus des roches mères que s’il y a voisinage. Plus la distance s’accroît entre eux, moins important sera l’héritage perceptible. Les dépôts salins marins sont typiques à cet égard, puisqu’ils résultent d’un tri parmi les nombreux ions issus en partie de la dissolution sur les continents, mais également d’apports volcaniques gazeux, sinon d’un lointain héritage cosmique.

Il convient donc de limiter les possibilités de restitutions paléogéographiques à des exemples relativement clairs. La complexité des interférences entre les facteurs en jeu enlève au principe classique des «causes actuelles» beaucoup de sa valeur. Aussi est-il nécessaire d’adopter les modèles raisonnables qui s’imposent par l’évidence des faits, même s’il ne se trouve pas de cas actuels qui les confirment. À l’inverse, l’homme offre le meilleur exemple d’une cause actuelle, inconnue de la quasi-totalité de l’histoire de la Terre.

Encyclopédie Universelle. 2012.

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  • erosion — erosional, adj. /i roh zheuhn/, n. 1. the act or state of eroding; state of being eroded. 2. the process by which the surface of the earth is worn away by the action of water, glaciers, winds, waves, etc. [1535 45; < L erosion (s. of erosio). See …   Universalium

  • Érosion des sols — Régression et dégradation des sols Pour les articles homonymes, voir Régression. Dans le domaine de la pédologie et de l écologie, la régression et la dégradation sont des processus d évolution associés à une perte d équilibre d un sol… …   Wikipédia en Français

  • Érosion et dégradation des sols — Régression et dégradation des sols Pour les articles homonymes, voir Régression. Dans le domaine de la pédologie et de l écologie, la régression et la dégradation sont des processus d évolution associés à une perte d équilibre d un sol… …   Wikipédia en Français

  • Erosion (Geologie) — Ausspülungen am Antelope Canyon E …   Deutsch Wikipedia

  • Sédimentation marine — La sédimentation marine comprend tous les processus impliquant des particules abiotiques, vivante ou issues de la nécromasse, qui forment la neige marine et descendent vers le fond pour progressivement y former des couches de dépôts (qui ont… …   Wikipédia en Français

  • sedimentation — The deposition of soil that has been transported from its site of origin by water, ice, wind, gravity or other natural means as a product of erosion …   Black's law dictionary

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